Lafarge

 

Amorcée avec la fabrication de la chaux l'industrie cimentière est depuis plus d'un siècle omniprésente en Ardèche. La vallée du Rhône s'est ouverte généreusement aux exploitants, offrant côte à côte matière première et itinéraires d'écoulement du produit.
En 1868, Le Teil donne un élan décisif à cette activité en mettant au point le ciment « Portland ». Mais depuis plus de cinquante ans les timides cheminées qui se dressent à proximité des fours verticaux fardent outrageusement les maisons d'alentour.
Cette poudre blanche qui tapisse les toits, envahit les voies respiratoires, colmate les pores, c'est d'abord la chaux-vive qui expose les ouvriers aux brûlures et les embarcations à des débuts d'incendie... D'où la nécessité de produire une chaux éteinte : au procédé d'aspersion manuelle succède la mise en place d'équipements adéquats: les extincteurs.
Du pied de la colline où, chaque jour, s'élargit le front de taille, jusqu'à l'ensachage du produit pulvérulent, un dense personnel est à l'ouvrage. Les blocs, détachés de la paroi par chaque coup de mine, sont ensuite débités à l'aide de la masse, par tous les temps: soleil de plomb ou pluie glaciale...
Malgré le caractère inhumain de certaines opérations, des fours se dressent en tous lieux tant soit peu propices: à Cruas, à Viviers, à Andance, à Meysse et ailleurs...
C'est l'usine Lafarge, à Viviers, qui est à l'avant-garde si l'on considère que, dès 1880, s'y développe une organisation semblable à celle connue par les papetiers: construction d'une cité ouvrière avec pavillons, présentant un étage de plus pour les contremaîtres, et église pour tous, magasin géré par des ouvriers, écoles pour les enfants, cours du soir pour les adultes, salle de sport (escrime) et aires de jeux (boules et quilles)...
En 1888, quatre-vingt-dix ménages habitent le lieu de travail où le jeune fils deviendra bientôt ouvrier aux côtés de son père... Comme lui il pourra ainsi satisfaire sa faim d'homme en devenir en faisant trois repas par jour, en été, et seulement deux en période hivernale où la durée de travail est plus courte...
En 1950, dans une cimenterie peu moderne, les ouvriers constituent la seule source d'énergie utilisée pour pousser les wagonnets chargés de la pierre destinée aux fours de cuisson.
Cette pratique d'un autre âge n'en conduira pas moins l'Ardèche à devenir, en 1980, le seul département français producteur de ciment blanc.
Avant 1830, Auguste Pavin de Lafarge, descendant d'une famille poitevine, était propriétaire des carrières de la montagne Saint-Victor qui dominait le Rhône entre Le Teil et Viviers. Leur rendement était alors médiocre : elles n'étaient exploitées que par un petit chaufournier qui assurait seul l'ensemble du travail. Venu de Lyon à la suite des événements de 1830, Auguste Pavin de Lafarge résolut de reprendre l'exploitation dont il confia la direction à son fils Léon (à droite). En 1833, commença l'exploitation moderne des carrières. Cinq fours nouveaux furent construits. La chaux de Lafarge commença à être connue dans la vallée du Rhône. Son frère Edouard (à gauche) prit la direction de l'entreprise en 1839 et la transforma. En 1848, il s'associa à son frère Léon pour constituer la Société de Lafarge frères. Des succursales furent ouvertes dans le bassin méditerranéen. La société absorba en 1887 les autres usines de la vallée du Rhône.

La société devint en 1884 une société en commandite par actions. Edouard en confia la gestion à son fils Joseph et à ses neveux Auguste (ci-contre) et Raphaël. Celui-ci étant mort en 1885, la société se nomma désormais J. et A. Pavin de Lafarge. Elle devint société anonyme en 1919 sous le nom de Société anonyme des chaux et ciments de Lafarge et du Teil. Furent présidents d'abord Joseph de Lafarge puis jean de Waubert (ci-dessous), son gendre, de 1931 à 1947. C'est celui-ci qui donna à l'entreprise sa dimension internationale et transféra à Paris sa direction générale. Les Lafarge s'impliquèrent fortement dans la vie politique locale. Joseph fut maire de Viviers de 1897 à 1935. Jean de Waubert lui succéda jusqu'en 1943. Auguste fut conseiller municipal et surtout conseiller général jusqu'en 1921. Henri, son fils, fut sénateur de 1929 à 1936.


Affiche de la société Pavin de Lafarge. Cette très belle affiche de style Art Nouveau (bibliothèque de Viviers) date du début du siècle. Elle montre les principales carrières de la société. La plus grande, en haut, est celle de Viviers, celle du milieu est celle de Cruas. Les autres sont situées hors de la région : l'usine de Vitry-le-François fut créée en 1892, celles des Bouches-du-Rhône sont issues de l'absorption des Portland méridionaux en 1901. La présence d'usines d'Afrique du Nord (Hussein-Dey près d'Alger, Tunis) illustre bien l'extension du marché de Lafarge sur le bassin méditerranéen.

En 1909, il existait 55 fours, non compris les fours à gaz. Ces fours traditionnels, les fours droits, étaient chargés par l'ouverture du haut, dite gueulard. Le chargement se faisait par couches alternées : un wagonnet de calcaire et un de charbon maigre (environ 125 kg). On fermait le gueulard le dimanche et lorsque le mauvais temps contraignait à l'arrêt du travail; pour cela on posait sur l'ouverture un couvercle de tôle en forme de calotte . La chaux vive était retirée par les ouvertures ménagées au bas des fours. Les ouvertures des anciens fours se voient toujours, alignées le long de la route nationale. Des fours droits fonctionnent encore à l'usine Lafarge de Cruas.

Château Sainte-Concorde (ci-contre) : Édifice construit en 1864 pour Édouard Pavin de Lafarge. Inscription sur le balcon, façade sud : STE CONCORDE 1864 E.P.D.L. Maison de maître avec chapelle privée (translation des reliques de sainte Concorde en 1865), orangerie (décor sculpté de quatre gargouilles et de douze culots), jardin paysager, fontaine en rocaille; entrée architecturée au nord avec grille en fer forgé. Décor peint à l'intérieur. Architecte inconnu. Façade sud inspirée par l'architecture de J.-B. Franque (évêché et hôtel de Roqueplane).

ENSEMBLE DE PEINTURES MURALES. 1864.
Peintures sur enduit.
Peinture 1 (entrée). Plafond, L. 7,30, l. 4,60. Décor à compartimentage simulé. Au centre, emblèmes de la sculpture, peinture, musique et poésie. Sur les côtés, amours couronnant des hommes illustres : Dante et Homère; griffons affrontés de part et d'autre de masques barbus.
Peinture 2 (grand salon). Plafond, L. 7,30, l. 6. Iconographie centrée sur le thème de la représentation cosmique. Un disque céleste occupe la partie centrale, il est partagé en douze secteurs, portant chacun une figure des Heures. Le centre du disque est orné d'un cercle zodiacal. Représentation des quatre Saisons dans les écoinçons séparés par deux médaillons ovales où figurent deux vues de Viviers. Bordure décorative où alternent visages et masques. Cinq panneaux en dessus de-porte : la planète Terre et les quatre Éléments .
Peinture 3 (cage d'escalier). Plafond, L. 4,60, l. 4,60. Inscription :
E PAVIN / DE LAFARGE / FECIT AD / MDCCCLXIV. Décor de rinceaux dans la partie centrale. Sur les côtés, quatre cartouches avec inscription, portés chacun par deux amours.
Peinture 4 (ancienne salle à manger). Plafond, L. 6,70, l. 4,60. Décor en trompe l'oeil. Corniche simulée couronnée d'une balustrade peuplée d'amours, coupes de fleurs, corbeilles de fruits, de gibier, de poissons, guirlandes de fleurs et de fruits.
Peinture 5 (ancien salon de musique). Plafond, L. 4,67, l. 4,40. Composition symétrique s'organisant autour d'un ciel peuplé de trois amours ailés. Petites scènes dans les médaillons : amours tirant un char, jouant de la musique, dansant ou lisant. Sur les murs, deux panneaux, l'un représente une lyre, l'autre Déméter.
Peinture 6 (péristyle). Décor d'inspiration végétale, gravé, rehaussé de couleurs bleu, jaune, rouge et vert.

Édouard Pavin de Lafarge, industriel éclairé, en relation avec le milieu culturel parisien, a attaché beaucoup d'importance à la décoration intérieure de son hôtel particulier. Faut-il voir dans le plafond du théâtre de l'Ambigu à Paris, dessiné par Hittorf et Lecointe en 1829, le modèle dont s'est inspiré le maître d'oeuvre de Viviers pour le grand salon?


Château de Lafarge (ci-contre):23 avril 1749 : vente de la terre de Lafarge par Balthazar-Aymard de Monte il, marquis de Durfort, héritier de Charles de Lafarge, conseiller du roi en la cour des aides de Montpellier, à Claude-François Pavin, receveur des gabelles au Teil. Le château est mentionné dans un acte du 13 mai 1749. Au début du XIXe s., l'édifice est entièrement remanié (date 1805 sur la grille d'entrée de la cour). Une partie des communs brûle le 14 novembre 1874. Projet de reconstruction du 26 mai 1875. Fin XIXe s., aménagement du rez-de-chaussée par le décorateur Paul de Montclos (?). L'autorisation de célébrer le culte dans la chapelle est donnée en 1902.
Maison de maître comprenant un logis avec deux corps de bâtiments en retour d'équerre : communs et chapelle ornée de peinture murales (ogives simulées, rinceaux, Évangélistes dans des médaillons). Dans le parc : pavillons d'entrée et chapelle funéraire construite vers 1854.

ENSEMBLE DE TROIS VERRIÈRES (chapelle, baies 1, 2, 5). Vers 1890.
Baies 1 et 2. Une lancette en plein cintre, h. 1,80, L. 0,80 env. Décor géométrique, verres colorés.
Baie 5. Oculus, diam. 0,80 env. Décor géométrique, verre coloré.
ENSEMBLE DE DEUX VERRIÈRES (baies 3 et 4.) Vers 1860.
Baies 3 et 4. Une lancette en plein cintre, h. 1,80, L. 0,80 env. Grisaille décorative colorée.
ENSEMBLE DE TROIS VERRIÈRES (chapelle funéraire, baies 0, 1, 2). Par Barrelon, Veyrat, Bessac. 1854.
Baie 0. Une lancette en plein cintre, h. 2,20,L. 0,80 env. : saint Michel écrasant le démon. Inscription : BARRELON VEYRAT ET BESSAC 1854 GRIGNY RHÔNE.
Baie 1. Une lancette en plein cintre. h. 2,20, L. 0,80 env. : saint Pierre.
Baie 2. Une lancette en plein cintre, h. 2,20, L. 0,80 env. : saint Joseph.

 

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